
Ils n’avaient ni armes, ni uniformes. Leur seule défense : un carnet, une caméra, une voix. Dans les territoires envahis par le M23, ces journalistes locaux étaient les derniers soldats debouts, les sentinelles de la vérité, abandonnés sur une ligne de front que Kinshasa semble avoir oubliée.
Au cœur du Nord-Kivu, quand les armes ont parlé plus fort que les mots, eux sont restés. Pour documenter l’indicible, pour relayer les cris des civils, pour refuser le silence. Face à l’avancée du M23, alors que les institutions reculaient, que les ONGs se repliaient et que les connexions se coupaient, ils ont tenu bon. Ils sont devenus la seule ligne de défense face à l’effacement.
Mais à quel prix ?
Abandonnés sans soutien matériel ni protection, ces journalistes ont vécu ce que vivent les soldats isolés : la peur, l’isolement, l’épuisement. Certains ont disparu. D’autres se sont tus, contraints par la peur ou les menaces. Et à Kinshasa, bien loin du fracas des armes, leur sort ne suscite qu’un souvenir diffus quand il ne tombe pas dans l’oubli.
À Goma, la famille de David M., un nom d'emprunt du journaliste de terrain contraint à la clandestinité depuis fin janvier 2025, vit dans une détresse totale. Père de quatre enfants, David s’était fait remarquer pour ses reportages sur les violations des droits humains dans le territoire de Nyiragongo. Depuis la prise de la ville, il vit caché, incapable de rejoindre sa famille ou d’exercer son métier. Sa femme, vendeuse de poissons, peine à nourrir les enfants. Le loyer est impayé depuis deux mois, les enfants ne vont plus à l’école, et les maladies infantiles reviennent faute de soins.
« On parle de paix et de réconciliation à Kinshasa, mais chez nous, c’est la faim et la peur », témoigne son épouse les larmes aux yeux.
La famille de David n’est pas la seule à lancer un cri de détresse. Plusieurs confrères réfugiés à Goma ou encore bloqués dans les zones occupées appellent à l’aide.
« Nous supplions les autorités, les organisations de défense de la presse, les ONG et les partenaires internationaux de ne pas nous laisser mourir dans l’oubli », déclare un journaliste du territoire de Rutshuru, lui aussi en clandestinité. « Il est encore temps de nous sauver, de nous protéger, de permettre à nos familles de vivre dans la dignité ».
« Le social des journalistes, c’est un champ de ruines », dénonce un ancien correspondant de Rutshuru, aujourd’hui réfugié à Goma.
« Nous avons tout donné pour informer, pour alerter, pour que Kinshasa sache. Mais aujourd’hui, qui se souvient de nous » ?, a-t-il déclaré.
Dans cette guerre asymétrique, l’information est un champ de bataille. Ceux qui s’y aventurent sans casque ni blindage sont aussi des combattants. Et pourtant, les journalistes congolais des zones occupées ont été laissés sans gilets, sans soutien, sans reconnaissance.
À Kinshasa, le silence des autorités sur leur sort résonne comme une trahison. Dans la capitale, les hommages officiels pleuvent pour les militaires tombés. Mais qu’en est-il des voix éteintes de la presse locale, ces « soldats de l’ombre » qui ont tout risqué pour que la lumière soit faite ?
Il est temps que la République rende justice à ses journalistes. Car mourir en silence, c’est mourir dans l’oubli. Et l’oubli, dans une nation qui se veut démocratique, est une faute grave.
Diddy MASTAKI