
Dans les rues poussiéreuses du quartier Majengo, le samedi 24 mai, un attroupement inhabituel s’est formé autour d’un nouveau meeting du Mouvement du 23 mars (M23). Musique à plein volume, slogans de ralliement, discours galvanisants : la scène ne laisse aucun doute sur l’intention. Une nouvelle vague de jeunes a été enrôlée, volontairement, dans les rangs de la rébellion.
Depuis près d’un mois, la stratégie du M23 a changé de visage à Goma. Fini le silence dans l’ombre. Le mouvement s’affiche désormais au grand jour, organisant régulièrement des rassemblements dans plusieurs quartiers, où il appelle les jeunes à rejoindre sa branche armée pour « libérer » le pays.
Une mobilisation qui gagne du terrain
À Majengo, fief populaire de Goma, les habitants observent cette dynamique avec inquiétude et impuissance.
« Mon propre neveu a quitté la maison il y a trois jours, après avoir assisté à l’un de ces meetings. Sans rien nous dire, il s'est affiché sur la liste de ceux qui ont répondu favorablement à la sensibilisation de nos nouveaux maitres, mais qui l’a endoctriné ? Qui va encore mourir pour rien ? », s’interroge Marie-Claire, une vendeuse de légumes au marché Ki30.
Patrick, motard de 27 ans, confie lui aussi son désarroi : « On ne comprend plus rien. Chaque jour, des jeunes disparaissent pour rejoindre les rebelles, pendant que Kinshasa parle de négociations. C’est comme si le peuple était oublié ».
Un front diplomatique fragilisé ?
Ces mobilisations viennent remettre en cause l’espoir suscité par les multiples initiatives diplomatiques en cours, notamment les pourparlers de Doha, les feuilles de route de Luanda et Naïrobi, ainsi que les efforts de médiation soutenus par les États-Unis d'Amérique sous l’administration Trump.
Pour le professeur Léon Bukasa (nom d'emprunt), analyste en relations internationales à l’Université de Goma, il s’agit là d’un signal alarmant : « Le terrain est en train de contredire le discours des chancelleries. Le M23 avance avec un double agenda : militaire et social. Leur stratégie de séduction publique, de recrutement volontaire, montre une implantation progressive dans les couches populaires. Pendant ce temps, la diplomatie congolaise semble à bout de souffle, sans relais ni résultats concrets ».
Selon lui, « la crédibilité de l’État est gravement mise à mal. Si le gouvernement ne regagne pas rapidement la confiance des jeunes, le vide sera comblé par les groupes armés ».
Une population désabusée
À Majengo comme ailleurs, la peur gagne les cœurs. Les habitants se demandent si les pourparlers encore en cours auront un quelconque impact sur la réalité du terrain.
« Nous n’avons plus de repères. Le M23 s’affiche partout, les militaires ne réagissent pas, et Kinshasa parle encore de paix pendant qu’ici, c’est la guerre psychologique », souffle un pasteur sous anonymat.
Face à l’inaction visible de l’État et l’efficacité redoutable de la stratégie du M23, la population se sent trahie, oubliée, et surtout livrée à elle-même. Le sort du Kivu semble désormais suspendu entre deux fronts : l’un diplomatique, fatigué ; l’autre militaire, en pleine expansion.
La Rédaction