Dans la maternité de l'hôpital la Référence, à quelques kilomètres du centre de Goma, les couloirs étroits résonnent des pleurs des nouveau-nés et des voix précipitées du personnel fin janvier 2025. Depuis plusieurs mois, les soignants font face à une situation devenue alarmante : une hausse inhabituelle des naissances précipitées et des accouchements prématurés, directement liée aux violences qui secouent Goma et ses environs depuis janvier 2025.
À l’entrée, une jeune femme enveloppée dans un pagne défraîchi s’appuie contre le mur, le regard encore marqué par la peur. Elle est arrivée à la maternité au petit matin du 31 janvier 2025, après une nuit passée à fuir des tirs dans son quartier.
« Je sentais déjà des douleurs, mais je ne pouvais pas rester là-bas. On entendait les bombes », murmure-t-elle. Son bébé est né sept semaines trop tôt.
Des histoires comme la sienne, le personnel en entend plusieurs par jour dès lors. Les combats autour de Goma fin janvier ont poussé des milliers de personnes sur les routes, brisant le suivi prénatal déjà fragile. « Le stress intense, la fuite, la marche prolongée… tout cela provoque des contractions prématurées », explique Sœur Nadine, sage-femme responsable de l’unité.
« Certaines arrivaient ici épuisées, traumatisées, presque sans souffle. Et quelques minutes plus tard, elles accouchent. », dit-elle.
Dans une petite salle exiguë, deux couveuses vieillissantes concentrent toutes les attentions. À l’intérieur, des bébés ne pesant parfois que 1,2 ou 1,5 kg. Pour pallier le manque d’équipement moderne, les infirmiers utilisent des bouillottes, des tissus chauffés et des lampes improvisées pour maintenir la température minimale.
« On s’adapte, sinon ces bébés n’auraient aucune chance », confie un infirmier en surveillant la respiration irrégulière d’un nouveau-né. « Mais c’est difficile. Une coupure d’électricité de quelques minutes suffit à mettre une vie en danger. »
La maternité enregistre désormais une hausse de près de 40 % des accouchements prématurés depuis le mois dd janvier 2025. Les soignants notent également une augmentation des fausses couches tardives et des complications liées au stress maternel.
Dans la cour de l’hôpital, des femmes déplacées s’abritaient sous des toiles en attendant que leur enfant soit suffisamment stable pour quitter la maternité. Certaines venaient des camps surpeuplés de Kanyaruchinya, Rusayo ou Mugunga. D’autres avaient fui des zones de combat la veille.
« Je ne dormais plus depuis des jours », raconte Léonie, 22 ans, qui a accouché à huit mois. « J’avais peur pour mes autres enfants, alors on a couru toute la nuit quand les combats ont commencé. Le lendemain matin, j’ai perdu les eaux. »
Les consultations prénatales, essentielles pour prévenir les risques, étaient devenues difficiles d’accès. Routes coupées, peur de circuler : autant d’obstacles qui fragilisaient davantage des femmes déjà vulnérables.
Les sages-femmes de la Référence, au nombre de huit pour plusieurs dizaines de patientes quotidiennes, travaillent sans relâche. Le manque de matériel s’ajoute à la fatigue accumulée.
« Certaines nuits, nous aidons jusqu’à 12 femmes à accoucher, dont la moitié prématurément », explique Sœur Nadine. « Nous n’avons pas assez de couveuses, pas assez de médicaments, pas assez de personnel. Mais nous n’avons pas le choix. »
Dans l’une des salles, une lampe solaire posée sur une chaise remplace l’éclairage électrique en panne. Des seringues sont rangées dans une boîte en plastique récupérée. Malgré ces conditions, les équipes tentent d’offrir à chaque naissance la même attention.
Selon les infirmiers, les complications les plus fréquentes chez les nouveau-nés prématurés sont la détresse respiratoire, les infections et l’hypothermie. Sans couveuse moderne, chaque minute compte.
« Si la situation sécuritaire continue à se détériorer, nous allons perdre davantage d’enfants », alerte un médecin venu appuyer l’équipe. « Les femmes ont besoin de suivi, de repos, de nutrition adéquate. Et la majorité n’a plus rien de tout cela. »
Malgré tout, des sourires naissent parfois au milieu du tumulte. Une mère sort discrètement par la porte arrière, son bébé serré contre elle dans un kangourou improvisé.
« Il pesait 1,4 kg à la naissance, aujourd’hui il respire tout seul », glisse une sage-femme, fière de cette victoire fragile dans un quotidien marqué par la précarité.
Dans cette maternité de la Référence, où la vie arrive souvent trop tôt, chaque enfant qui survive devient un symbole de résistance. Une preuve que, même au cœur des affrontements qui ont secoué Goma, la vie persiste – minuscule, vulnérable, mais tenace.
Daudi Amin